mardi 8 août 2017

1917 : Bulletin des usines de guerre : Alcool moteur (suite et fin)

Bulletin des usines de guerre

Activez la réception des nouveaux articles par mail

Histoire de l'E85 / Superéthanol du XIXe siècle à nos jours




Voitures d'ambulance Septembre 1917


suite de l'article Bulletin des usines de guerre : Alcool moteur 1917


Auteur : France. Sous-secrétariat d'État de l'artillerie et des munitions. Ministère de l'armement et des fabrications de guerre.
Éditeur : Ministère de l'armement et des fabrications de guerre (Paris)
Date d'édition : 1918-06-10
Provenance : Bibliothèque nationale de France Lien Gallica BNF





RAPPORT
sur l'emploi de l'alcool comparé à la benzine comme combustible dans les moteurs d'automobiles

(Suite et fin.)


les résultats à obtenir et les inconvénients de la marche par l'alcool.


La question qui nous intéresse en premier lieu est celle de la consommation du combustible et la puissance à obtenir.

Nous avons vu que pour chaque coup de piston, le carburateur doit fournir en poids d'alcool 1,5 fois autant que la benzine. Or, le poids spécifique de l'alcool (90-93 p. 100) est de 0,82, tandis que, pour la benzine, il est d 0,72 ce qui fait que pour une utilisation de 1,39 litre de benzine on aura une consommation d'alcool de 1,83 litre, c'est à dire que comptée en litres, la consommation du combustible alcool est à peu près 1,32 fois plus grande, ou bien encore que.l'on consomme 32  p. 100 plus d'alcool que de benzine.

Nous verrons que les résultats obtenus avec les essais réels effectués concordent entièrement avec ces chiffres calculés théoriquement.

Qu'en est il à présent de la puissance à obtenir ?


Si nous admettons que le pouvoir calorifique de la benzine et celui de l'alcool soient respectivement  de 10,500 et 6,000 calories par kilogr., on aura pour une quantité de chaleur de 10,500 calories transformées en travail dans le moteur, en cas d'emploi de la benzine. 9,000 pour l' alcool.
Si donc la transformation de la chaleur en travail se fait de même dans les deux cas, on voit que la puissance que l'on peut atteindre en cas de l'emploi de l'alcool. reste encore d'environ 10 p. 100 en-dessous de celle que l'on obtient par la benzine. Nous ne devons pas oublier toutefois que si l'on a mis le carburateur au point en diminuant partiellement l'arrivée d'air, nous obtenons ainsi un remplissage du cylindre moins bon qu'à l'origine (au cas d'emploi de la benzine) de sorte que la puissance développée tombe un peu, ne fut-ce même que très peu.

D'autre part, pourtant, du moment où l'échauffement du moteur est bien atteint, la transformation de la chaleur en travail aura lieu souvent, en cas d'emploi de l'alcool, avec un rendement un peu meilleur qu'avec la benzine, de sorte que ces deux influences peuvent s'annihiler réciproquement, et nous pouvons admettre le chiffre ci-dessus, c'est-à-dire que dans la plupart des cas, la puissance développée (pour un nombre égal de révolutions par minute) sera environ 10 p. 100 plus basse que pour la benzine.

Ce qui précède montre donc que l'emploi de l'alcool (en litres) donne lieu à une consommation supérieure de un tiers à celle de la benzine et en même temps à une production de puissance inférieure de un dixième environ à celle de ce dernier combustible.

D'autre part, comment va se comporter le moteur ?


Lors d'une température chaude, il pourra être possible, du moins dans les moteurs à carburateurs automatiques avec gicleur de stationnement d'obtenir la mise en marche du moteur directement par l'alcool.

Toutefois, aussi longtemps que le moteur n'est pas encore chaud, la marche sur route sera assez irrégulière ; même si le moteur veut marcher sur le grand gicleur, on devra être extrêmement prudent en donnant le gaz, attendu qu'autrement le moteur ne tire pas. Il ne peut être question de marcher, aussi longtemps que le moteur n'est pas convenablement chauffé et sur les pentes ou en cas de ralentissement, il faudra donc lui rendre très vite sa marche ordinaire.

Au fur et à mesure que le moteur s'échauffe, ces inconvénients disparaissent progressivement de sorte qu'après une certaine durée de fonctionnement, la marche d'un moteur effectivement chauffé est tout aussi favorable que si l'on faisait usage de benzine et même elle peut être plus favorable, eu égard aux limites de l'explosion du mélange-combustible — air, — circonstance en suite de laquelle le moteur peut paraître plus souple.

Si cependant le temps est froid on aura souvent de bien grandes difficultés à mettre le moteur en marche avec l'alcool et c'est pourquoi il est recommandé d'avoir un réservoir spécial de benzine pour la mise en marche.

En général, on ne doit pas juger un moteur qui marche à l'alcool d'après sa conduite en été, mais d'après sa conduite pendant les mois d'hiver.

Le réservoir spécial de benzine dont il vient d'être question a encore une autre utilité. Les inconvénients dus à la corrosion dont il a déjà été question plus haut, se font naturellement le plus fortement sentir aussi longtemps que le moteur n'est pas chaud de part en part, car aussi longtemps ou il n'en est pas ainsi, la vaporisation pourra être incomplète et les chances de combustion incomplète deviendront aussi plus grandes.

C'est pourquoi il est recommandé de laisser le moteur s'échauffer entièrement par la benzine et de ne le faire marcher à l'alcool que quand ce résultat est acquis.

Il est tout aussi recommandé, avant d'arrêter le moteur de laisser encore marcher celui-ci à la benzine.

En effet, s'il se forme par exemple de l'acide acétique la corrosion sera forte, s'il reste dans le moteur des restes de vapeur et peut être aussi quelques parties d'alcool qui se refroidissent avec le moteur.

En laissant marcher le moteur avec la benzine pendant quelque temps encore, on empêche dans une très grande mesure ce phénomène de se produire.

Il y a cependant une autre espèce de corrosion contre laquelle on ne sait faire que peu de chose : c'est la rouille due à la présence de l'eau.

Les 10 p. 100 d'eau que contient l'alcool rouillent facilement les réservoirs en fer, les parties en fer du  carburateur, etc. Si l'on emploi l'alcool dénaturé le phénomène est encore plus fort.

Cette eau peut aussi exercer une influence nuisible sur les parties du moteur qui ne sont pas très chaudes.

En vue de réchauffer le moteur très rapidement, on peut enlever en hiver, par exemple, la courroie du ventilateur ou prévoir au radiateur un dispositif moyennant lequel il peut être partiellement couvert à volonté.

Essais d'un certain nombre d'autos et de motocyclettes militaires.


Furent désignées pour les essais les machines suivantes :

  • Panhard-Levassor no 503 type 10 HP 1913, voiture de tourisme.
  • Delahaye n° 156 type 12/16 1913. Celle-ci fut remplacée par une Opel n° 83 de tourisme.
  • G. N. C. n° 587 camion - charge = 1.350 kil.
  • Presto n° 821 camion - charge =1.500 kil.
  • Lartini n° 781 camion - charge = 3.000 kil.
  • Arbenz n°793 camion - charge = 2.000 kil.
  • Les essais furent en outre étendus à une motocyclette, marque Excelsior n° 230.


Panhard Lcvassor. — Cette voiture fut conduite à l'état chaud vers le dépôt de benzine et. là, vidée et remplie d'alcool. Sans aucune difficulté le moteur se mit en marche avec le gicleur de stationnement.
Toute tentative pour donner du gaz eut cependant comme résultat que le moteur s'arrêta. Tout d'abord, on augmenta le poids du flotteur moyen par lequel il fut possible de maintenir le moteur en marche et de rouler à la première vitesse sur une certaine distance.

Le joint entre le tuyau d'aspiration et le carter du moteur fut remplacé par un joint en plomb pour mieux conduire la chaleur.

Dans la suite, on plaça une conduite de chaleur pour l'air. Le carburateur n'a pas de soupape ou de bague rotative pour l'air additionnel; il reçoit tout son air directement, mais en deux endroits, c'est-à-dire par un couple de petites ouvertures sous le gicleur et une ouverture principale à mi-hauteur de celui-ci.

Cette dernière ouverture fut reliée par un tuyau à un entonnoir d'aspiration qui fut fixé au tuyau d'échappement.

Par ce moyen, on ne gagne pas encore assez. Après cela, on plaça dans l'ouverture principale une embouchure à orifice conique, grâce à laquelle l'ouverture d'air principal fut notablement diminuée.

On obtint, ainsi, un gain notable, attendu qu'il fut dès lors possible de faire rouler .la voiture à toutes les vitesses. La voiture ne donna pourtant pas encore toute 'satisfaction. En bouchant partiellement les petites ouvertures d'air, à l'aide de liège, la situation fut déjà améliorée de beaucoup.

Toutefois, même avec le moteur chaud, la marche ne fut pas encore suffisante. En fin de compte, le gicleur fut un peu agrandi, de même que les ouvertures d'alimentation vers cet organe. On obtint ainsi effectivement une grande amélioration; la voiture marcha bien. On donna encore un peu d'avance à l'allumage, après quoi on procéda aux essais de consommation.

Ce ne fut qu'après un très fort échauffement du moteur qu'il fut possible de donner un peu plus d'air, circonstance à la suite de laquelle le liège précité fut remplacé par une petite bague rotative qui permit la fermeture plus ou moins complète de toutes les petites ouvertures d'air pendant le roulement.

Après un grand nombre d'essais, on, obtint le meilleur résultat :
Vitesse : 48 kilomètres à l'heure.
Consommation : 1 litre d'alcool pour 5 kilom. 1.

Pour la benzine, les relevés furent pris, bien entendu, quand la machine était appropriée à son emploi.
La situation la plus favorable fut ; Vitesse : 51 kilomètres à l'heure.
Consommation : 1 litre de benzine pour 6 kilom. 8

La consommation de combustible pour une voiture aussi petite (70 x 140) est démesurément élevée, ce qui doit être attribué à l'état d'usure, à la faible compression et à des circonstances atmosphériques défavorables (beaucoup de vent de côté et très violent).

C'est pourquoi les vitesses obtenues sont également si petites. La proportion entre la consommation d'alcool et celle de la benzine concorde assez bien avec ce que l'on pouvait attendre c'est-à-dire respectivement 19,9 et 14,7 par 100 kilomètres, soit donc, pour l'alcool un tiers en plus.

Après les modifications précitées, il fut .possible de mettre directement la voiture en marche par l'alcool, même à l'état froid. Si on avait laissé tourner le moteur en station pendant quelques instants seulement, la voiture pouvait partir sans difficulté et, après cinq minutes environ de roulement, le moteur était mis à une température si favorable que le fonctionnement était tout aussi simple et facile qu'avec la benzine.

Après que les essais furent terminés, on démonta, entre autres, une soupape d'échappement, ce qui permit de constater des traces de rouille insignifiantes. Avec un réservoir auxiliaire à benzine, cela ne serait pas arrivé.

Delahaye, n° 156/(Opel n° 83). — Du rapport établi au sujet de la première de ces deux voitures, il résulte que les essais durent être arrêtés par suite de panne du moteur avant que le résultat final ne fut atteint.

A sa place, on essaya une Opel n° 83. Bien qu'il parut possible de faire marcher convenablement la voiture à l'alcool, après avoir agrandi le gicleur, augmenté le poids du flotteur et placé un réchauffeur d'air, la machine reçut manifestement trop d'air additionnel froid, de sorte que. par marche trop rapide, il y eut des ratés et des retours au carburateur (système G et A). Le moyen qui fut employé à ce moment, d'après le rapport, pour couper totalement l'air additionnel, est mauvais, attendu que la carburation ne peut jamais rester dans de justes proportions pour les différentes vitesses.

G. N. C. n° 587. — D'après le rapport établi pour cette voiture, on peut constater ce résultat singulier que, probablement à cause d'un trop grand agrandissement du gicleur, il est apparu nécessaire d'ouvrir davantage une partie des passages d'air. Les essais faits avec cette voiture n'ont pas été poussés assez loin par suite du manque de temps, de sorte que la consommation d'alcool est aussi beaucoup plus élevée ; elle est de 50 litres par 100 kilomètres, contre 28 litres pour la benzine.
Presto n° 821. — De même dans les essais faits avec cette voiture, on n'a pas été assez loin. Le résultat obtenu en fin de compte, en coupant totalement l'air froid dans le carburateur Méco employé, n'est pas défavorable en ce qui concerne la consommation de combustible, qui fut de 36 litres par 100 kilomètres pour l'alcool et de 28 litres pour la benzine ; mais par l'étranglement trop fort de l'air, la puissance doit ici diminuer. On obtiendrait un meilleur résultat par le remplacement des différents diffuseurs sans trop étrangler l'air.

Arbenz n° 793. — Les essais sont ici très instructifs, parce qu'ils ont montré, entre autres, que, pour certaines machines, la diminution du remplissage du cylindre déjà mentionnée antérieurement et occasionnée par l'étranglement de l'air peut devenir sensible. Par suite de cette circonstance. la puissance tomba beaucoup.

Le carburateur Bolex qui est employé dans cette voiture fut pourtant construit en Suisse à une époque où l'on manquait de benzine et il n'est pas très approprié au moteur. Si l'on avait un carburateur mieux
approprié, on aurait probablement obtenu un meilleur résultat avec la consommation de combustible qui fut respectivement pour l'alcool et la benzine de 50 et 30 litres par 100 km.

On remarque aussi dans cette voiture une énorme différence dans la conduite du moteur lorsque le temps devient moins chaud.La variation relativement faible de la température estivale exerçait une influence appréciable dans la conduite du moteur.

Ce qu'il y a d'intéressant aussi dans cette voiture, c'est que l'on y observa une corrosion déjà sensible.

Lartini n° 781. — Cette voiture a donné des résultats assez favorables, après qu'on eut étranglé quelque peu et réchauffé l'air principal, qu'on eut augmenté le poids du flotteur et qu'on eut tendu davantage le ressort de l'admission d'air additionnel en plaçant de petites plaques.

On a réalisé ici une modification très favorable en essayant d'utiliser la chaleur rayonnante et l'échappement au profit de la conduite d'arrivée d'air en les enveloppant tous deux d'une enveloppe d'amiante. La consommation constatée, soit 40 litres d'alcool contre 28 litres par 100 km. pour la benzine et pour une vitesse de 15 km. à l'heure, montre que l'on s'est approché assez bien de ce qu'il était possible d'obtenir.

CONCLUSIONS


L'auteur du rapport est d'avis qu'il n'y a pas lieu de recommander pour l'armée 1'emploi de l'alcool. Le grand nombre de types différents de voitures qui y sont en usage fait que l'on pourrait courir le risque de voir effectuer ces essais par un personnel qui ne serait pas absolument compètent. Par suite de cette circonstance, on aurait, d'une part, des voitures qui marcheraient continuellement avec une carburation trop riche et qui montreraient de ce chef une forte corrosion.

Des voitures militaires doivent en outre être à même de pouvoir partir instantanément sur un ordre donné, et en hiver, cette condition ne pourra être réalisée dans toutes les voitures.

Même si l'on prévoyait dans toutes les voitures un réservoir auxiliaire de benzine pour la mise en marche du moteur, l'auteur précité estime quand même encore indésirable que l'on expose le matériel  militaire aux inconséquences de l'emploi de l'alcool, à moins que la nécessité ne s'en fasse sentir au plus haut point.

En conséquence, aussi longtemps que la : benzine nécessaire à l'armée peut encore être obtenue à un prix qui n'est pas moins de un tiers plus élevé par litre que celui de l'alcool, et aussi longtemps que les autorités ont leurs apaisements au sujet des approvisionnements de guerre de benzine, il n'y a pas de raison de passer à l'emploi de l'alcool.

Le Gérant : G. PECELON.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire