mercredi 27 décembre 2017

1920 : Le Carburant National - mélange éthanol

LE CARBURANT NATIONAL (mélange alcool-moteur)


En 1920 :
  • l'alcool-moteur titrait 90%, contenait environ 10% d'eau et le dénaturant à mauvais pouvoir de combustion  de la Régie ;
  • l’essence arrivait à peine à dépasser un indice d'octane de 60 et contenait beaucoup d'impuretés et d'eau aussi ;
  • Le taux de compression d'un bon moteur était de 4,5 à 5 alors qu'aujourd'hui un taux supérieur à 10 est normal pour un moteur essence de grande série. Le turbo, généralisé sur tous les moteur, par construction, nécessite un taux de compression plus faible.

On passe à l'article de 1920.


TRÈS grave est la crise à laquelle est soumise l'industrie automobile du fait de l'élévation constante du prix de 1'essence et de sa raréfaction sur les marchés mondiaux.
D'une part, les cours suivent une progression ininterrompue sans que l'on puisse prévoir une limite à la hausse. D'autre part, il devient de plus en plus difficile de se réapprovisionner en combustible, et la situation serait sans issue au cas où le vœu de certains groupements américains d'interdire l'exportation du pétrole et de ses dérivés, recevrait satisfaction.

Que la situation actuelle vienne encore à empirer, et c'est l'arrêt fatal de la circulation, avec, pour conséquence, la ruine de la plus florissante de nos industries mécaniques.

Du coup, les conquêtes réalisées par l'expérience de quatre années de guerre, et en premier lieu l'utilisation de l'automobile aux transports industriels, se trouveraient compromises. A côté de l'auto, la branche sœur, l'aviation, serait vouée à une mort certaine. Enfin s'évanouirait à jamais l'espoir longtemps caressé de l'automobile à la portée de tout le monde.

Nous en sommes réduits à ne compter que sur nous et sur les miettes que nos bons amis d'outre-Manche voudront bien nous réserver en Mésopotamie ou ailleurs. Or, nos besoins sont énormes : il est question de 500 millions de litres.
Pour sauver l'automobile, au point de vue du combustible, nous avons le choix entre trois alternatives :
  • chercher de nouvelles sources de combustible ;
  • diminuer la consommation ;
  • brûler dans nos moteurs un autre combustible que l'essence.
— Augmenter notre production nationale d'essence est chose possible, mais lointaine. On commence seulement à explorer nos gisements d'Algérie, du Maroc et de Madagascar ; passons sous silence nos gisements d'Alsace et autres : une goutte d'eau dans l'Océan.
— Diminuer la consommation est le rôle du carburateur. Ne comptons jamais trouver là qu'un palliatif ; les carburateurs français sont réputés les mieux réglés du monde, et l'économie réalisée en brûlant plus rationnellement l'essence dans nos cylindres ne sera jamais bien grande.
— Il nous faut donc chercher ailleurs que dans l'essence la nourriture de nos autos, et ici, ne craignons pas de le dire, tous les espoirs sont permis.

Tout d'abord, que peut-on brûler dans un moteur d'automobile ?


En principe, tout combustible ferait 1'affaire. Mais c'est là une déclaration platonique.

Il tombe, en effet, sous le sens qu'un combustible gazeux, exigeant un réapprovisionnement par tubes de gaz comprimé ou dissous est prohibitif par son encombrement et son poids.


Fig. I. — VOLATILITÉS COMPARÉES DE L'ESSENCE, DU BENZOL ET DE L'ALCOOL. 

Un combustible solide est déjà plus indiqué, car il concentre une grande énergie sous un faible volume. Mais les difficultés d'allumage, de carburation et d'encrassage, déjà énormes pour les grands moteurs très lents qu'on a essayé de faire marcher au charbon pulvérisé, sont insolubles dans les moteurs légers et rapides. Du reste, le problème de la pulvérisation microscopique des combustibles solides n'est pas résolu.


Fig. Il. — DIAGRAMMES INDIQUANT LES EFFETS DE L'AVANCE A L'ALLUMAGE
On voit que l'augmentation de l'avance correspond à une élévation de la pression maxima d'explosion de A, en B et en C. Cette élévation aurait pu être produite par une augmentation de la compression.

Nous faisons évidemment abstraction des combustibles solides, mais très volatils dont le type est la naphtaline. Ce combustible peut être vaporisé dans un petit gazogène ad hoc et ajouté à l'air pour former le mélange détonant. Mais il est très difficile de doser exactement un mélange de vapeurs et de gaz, et le moindre excès de vapeur de naphtaline a toutes les chances de se dégager et d'incommoder très sérieusement les voyageurs.

Force nous est donc de nous adresser aux combustibles liquides ; encore tous ne sont-ils pas utilisables ; ils doivent réunir de nombreuses qualités à la fois économiques et techniques. Deux se détachent très nettement : le benzol et l'alcool. L'un et l'autre de ces combustibles ont le grand avantage d'être nationaux et de nous rendre indépendants de la production étrangère.

Le benzol.


Le benzol est un produit de la distillation fractionnée des goudrons de houille. Deux grandes industries distillent la houille: la sidérurgie et l'industrie du gaz de ville.

La houille extraite de la mine ne peut être utilisée telle quelle dans un haut fourneau. Compacte, elle empêcherait la circulation des gaz en colmatant le haut fourneau. Chargée de produits volatils, elle boursouflerait sous l'influence de la chaleur du fourneau et perdrait ainsi en pure perte une forte partie de ses produits récupérables. Fragile, elle s'écraserait sous le poids énorme des matières accumulées dans le fourneau sur une grande hauteur.

On la distille donc préalablement en vase clos, dans des fours à coke : le produit poreux et dur est le coke métallurgique. Les sous-produits comprennent le goudron, qu'une distillation sépare en huiles légères moyennes et lourdes, et le gaz. Des huiles légères, on extrait à peine 5 % de benzol par distillation fractionnée.

La principale source de benzol est le gaz lui-même ; le benzol, très volatil, ayant distillé dès le début de l'opération, s'y trouve mélangé à 1 état de vapeurs. Une simple condensation par réfrigération étant insuffisante pour recueillir le benzol trop dilué dans la masse, on lave le gaz avec de l'huile moyenne de goudron en pluie fine. Le benzol est dissous par l'huile minérale dont une distillation le séparera définitivement ; l'huile minérale sert pour une autre opération.

Le benzol est lavé à l'acide sulfurique, neutralisé à la soude caustique ; on obtient ainsi un produit incolore, bouillant à 80°, un peu moins volatil que l'essence ordinaire, et complètement dépourvu de produits sulfurés tels que le thiophène dont l'odeur est désagréable, et le soufre, qui peut attaquer les cylindres.

Le benzol est non seulement comparable à l'essence, mais il lui est même supérieur à certains points de vue. Son emploi n'exige pas le remplacement du carburateur ordinaire, opération ennuyeuse, la mise au point d'un carburateur exigeant toujours du temps. Le benzol étant pljs dense, il suffira de surcharger un peu le flotteur pour empêcher que le niveau ne baisse trop dans la cuve, et de diminuer légèrement le diamètre des gicleurs.

Sa volatilité est du même ordre que celle de l'essence. Par contre, sa chaleur de vaporisation étant plus grande, il faut lui fournir plus de calories pour le faire passer de l'état liquide à l'état gazeux. Il y a donc intérêt à pourvoir le carburateur d'un système de réchauffage. Nous aurons l'occasion de reparler en détails de cette grave question du réchauffage. Contentons-nous d'indiquer que, pour le benzol, le mieux est de réchauffer l'air avant son entrée dans le carburateur en l'obligeant à circuler dans un manchon entourant le pot d'échappement.

Le benzol a une capacité calorifique un peu supérieure à celle de l'essence, c'est-à-dire qu'à poids égal, il fournit un peu plus de calories par combustion et développe un peu plus d'énergie utilisable.

Enfin, la vapeur de benzol a un point d inflammation plus élevé que l'essence ; elle permet donc de plus fortes compressions sans qu on ait à craindre d'auto-allumage, et le rendement des moteurs s'en trouve amélioré.

Le benzol remplit toutes les conditions techniques pour être un bon carburant. Pouvons-nous espérer le voir supplanter 1'essence ?
Certes oui, à la condition que les pronostics sur le développement de notre grande industrie métallurgique se réalisent. Le jour où la France sera en état de traiter 20 millions de tonnes de fonte, elle devra distiller près de 25 millions de tonnes de houille capables, à elles seules, de fournir 1.400.000 hectolitres de benzol, soit près de 28 % de nos besoins en combustible. Dans cette évaluation, nous ne comptons pas les usines à gaz de ville susceptibles de distiller annuellement 6 millions de tonnes de houille.

L'alcool viendra à la rescousse du benzol.


Remarquons cependant que le benzol ne suffira pas à lui seul pour alimenter cette dévoratrice de combustible qu'est l'automobile.

L'alcool pourra heureusement, et bien au delà, combler le déficit. On peut en effet tirer de l'alcool de quantités de substances. Que la matière contienne de la cellulose, de l'amidon ou de la dextrine, et une fermentation appropriée suivie de distillation la transforme en alcool. Betteraves à sucre avariées, déchets de canne à sucre, mélasses, céréales mises en rebut, feuilles d'arbres, etc... peuvent servir à faire de l'alcool. La quantité à produire est illimitée. Quant au prix, une fabrication montée en grand et pourvue de moyens puissants peut le réduire considérablement ; nos voisins de Suisse mettent l'alcool en vente au prix de cinq francs le bidon, et la Standard Alcohol Cy le fournit au prix de 10,8 cents les 5 litres, soit, au cours actuel du change, 1 fr. 75 le bidon.


Fig. III.
  • SCHÉMA D'UN CARBURATEUR A ALCOOL RÉCHAUFFÉ. 
    • Une cuve à niveau constant A alimentée à l'alcool ou à l'essence par le robinet à trois voies B, est réunie au gicleur C, par un conduit chauffé par les gaz d'échappement. L'air aspiré est chauffé et le mélange tonnant est encore réchauffé après sa formation, par la chemise d'eau D. La mise en marche se fait à l'essence. On aura soin de retourner à l'essence un peu avant l'arrêt du moteur afin de purger les canalisations d'alcool et de disposer d'essence pour le départ suivant.
  • SCHÉMA D'UN CARBURATEUR A ALCOOL VAPORISÉ.
    • L'alcool qui gicle en A est complètement vaporisé dans le tube B. Au centre de ce tube, on dispose une lame de tôle tordue en hélice pour obliger l'alcool à couler sur la paroi du tube vaporiseur ; ce qui active l'évaporation.
L'alcool est un combustible beaucoup moins riche en calories que l'essence ou le benzol. Un calcul simple montre que l'essence développe 8050 calories; le benzol 8760 calories; et l'alcool, seulement 5430 calories par litre. Il faudra donc brûler une quantité d'alcool supérieure à celle de l'essence pour développer un même nombre de chevaux dans un moteur donné ; à un litre d'essence il faudra substituer 1 litre 485 d'alcool. On perd, de ce fait, un peu d'avantage du côté du prix, et surtout du côté de la provision de combustible à emporter normalement sur uns voiture.

Notons, cependant, et cela peut paraître paradoxal, que, malgré la moindre puissance calorifique de l'alcool, la puissance du moteur ne baissera que très peu;

De quoi dépend la puissance d'un moteur ?

Du nombre de tours, du volume aspiré par cylindrée. et de l'énergie développée par cylindrée.
Or, un litre de mélange détonant aspiré par le moteur, contenant 15 % d'excès d'air en plus de la quantité strictement nécessaire pour brûler le combustible, développe théoriquement 358 kilogrammètres avec l'essence, et 341 avec l'alcool. La différence est moindre que 5%;

Le paradoxe tient à ce que l'alcool exige beaucoup moins d'air que l'essence pour être brûlé ; le volume aspiré par le moteur à vitesse constante restant le même, il faudra dépenser plus d'alcool que d 'essence, et cet excès compense le moindre pouvoir calorifique.

Du reste on peut obtenir qu'un litre d'alcool fournisse autant d'énergie mécanique utile qu'un litre d'essence. Il suffit d'améliorer le rendement des moteurs en poussant plus loin la compression. Remarquons, à cet effet que, si nos moteurs à 4,5 de compression, ayant un rendement de 36,3 %, brûlent 1 litre 485 d'alcool pour faire un certain travail, il faudra un rendement de 53,9 % à un autre moteur pour faire le même travail en ne brûlant qu'un seul litre d'alcool ; car, de toute évidence, à travail égal, la consommation est inversement proportionnelle au rendement.

Or, un rendement de 53,9 % suppose une compression de 13 ; elle est très élevée, et l'essence ne peut la supporter sans auto-allumage. L'alcool non plus, quoique sa température d'inflammation spontanée, voisine de 570°, soit très supérieure à celle de l'essence.

Un cycle, différent de celui du moteur à explosions, convient à merveille à la marche en forte compression. C'est le cycle Diesel ; le combustible injecté à l'état liquide par une pompe dans le cylindre en fin de compression, prend feu spontanément sous l'effet de la chaleur dégagée par celle-ci. Il faut malheureusement pour l'injection un temps dont la durée est très supérieure à celle d'une explosion dans un moteur ordinaire : le Diesel tourne lentement et, dès lors, il pèse terriblement lourd. Le jour ou un Diesel deux temps rapide, aura été réalisé, sera le jour du triomphe assuré de l'alcool. Ce jour viendra ; mais, en l'attendant, il faut envisager des mesures provisoires qui permettent l'utilisation immédiate du nouveau combustible sur nos voitures.

Il faudra transformer nos carburateurs...


Au premier rang nous placerons la transformation des carburateurs. L'alcool a besoin d'une grande quantité de chaleur pour son évaporation, car sa volatilité est très inférieure à celle de l'essence. Il faudra donc pourvoir les carburateurs à alcool d'un réchauffage très énergique par les gaz d'échappement. Réchauffer la tubulure d admission après le carburateur serait insuffisant.

Il sera nécessaire de réchauffer l'air avant son admission au carburateur ; réchauffer le mélange tonnant ensuite ; réchauffer peut-être aussi l'alcool lui-même, avant giclage (fig. III). Ou bien prévoir un carburateur-gazogène dans lequel l'alcool sera complètement vaporisé dans une petite chaudière.

Le départ à froid à l'alcool ne pourra guère être envisagé. Il sera prévu une mise en route à l'essence, avec retour à la marche à l'alcool dès que le moteur sera suffisamment chaud.

... et augmenter la compression.


D'autre part, on peut d'ores et déjà améliorer le rendement thermique des moteurs destinés à l'alcool en augmentant leur compression. Cela n'est, naturellement, pas facile. Dès que l'on songe à diminuer le volume de la chambre d'explosion, on est arrêté par la nécessité de pouvoir loger les soupapes et de leur assurer une levée suffisante.

Le moteur à alcool sera donc, à coup sûr, un moteur à longue course ; mais alors il ne tournera pas très vite, sinon on risquerait de voir voler bielles et pistons en éclats.

Une autre solution, immédiatement réalisable celle-ci, peut être adoptée. Tout moteur du type monobloc à culasses rapportées serait muni d'un jeu de deux culasses, l'une pour la marche à l'essence ; l'autre, à chambre de compression plus réduite, pour la marche à l'alcool.

On pourra, enfin, augmenter l'avance à 1'allumage ce qui, dans certains cas, équivaut à augmenter la compression (fig. II).

L'alcool ne pique pas les soupapes.


Rien de plus exact. L'alcool est innocent du crime. Le vrai coupable est le dénaturant que l'Administration ajoute à l'alcool à brûler pour empêcher son usage à titre d'alcool de bouche soumis à des impôts très élevés. Ce dénaturant contient notamment de l 'acétone, qui brûle mal et attaque les cylindres.

L'alcool pur est absolument inoffensif ; il suffit, pour lui conserver son innocuité, de le dénaturer autrement. A ce titre, le benzol est tout indiqué ; il a en outre l'avantage d'enrichir le mélange en calories, de le rendre plus volatil en diminuant de beaucoup les difficultés de la marche à l'alcool pur.

C'est ce mélange, fait en proportions diverses, que l'on a dénommé alcool carburé, alcool Leprêtre, Alcoyas, etc.



Référence Omnia 1920/11 

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