dimanche 24 décembre 2017

1935 : Qualité des carburants incorporant de l'alcool moteur et solutions

LA QUESTION DE L'ALCOOL-CARBURANT



Omnia, la revue pratique de la locomotion - mai 1935


Pourquoi l'usager n'aime-t-il pas le mélange essence-alcool qu'on lui impose ?


On entend souvent des doléances contre le mélange essence-alcool. Il faut, avant tout, être impartial et situer le problème tel qu'il se présente.

Certes, le monopole de l'alcool, ainsi qu'il est actuellement compris par l'Etat, conduit à des dépenses douloureuses pour le contribuable. Ceci est incontestable et cette politique ne peut indéfiniment se développer selon les directives adoptées.

Par contre, l'alcool peut-il être qualifié de mauvais carburant ?

Bien au contraire, doit-on affirmer.

Il est adétonant, permet d'élever le nombre d'octanes d'un mélange bien dosé et même il doit faire connaître une économie d'emploi quand on sera résolu à l'utiliser dans des conditions optima de bon rendement. D'autre part, l'alcool de betteraves, une des sources les plus abondantes de ce carburant, constitue une richesse pour l'agriculture. C'est un débouché des produits agricoles qu'il y a lieu d'encourager.

Alors, penserez-vous, d'où vient que le mélange essence-alcool a si mauvaise presse ?

Les critiques dérivent :
  1. du dosage très variable qui a été jusqu'ici pratiqué ;
  2. de la façon défectueuse dont s'opère la conservation du mélange essence-alcool en stock.
Voyons ces deux points par le détail.

Dosage variable

Les fournisseurs d'essence ont charge d'écouler une quantité d'alcool déterminée par l'Etat. La production est présentement insuffisante pour permettre d'ajouter, par exemple, et de façon régulière, 10% d'alcool à l'essence.
Dans cette situation, le fournisseur ne se préoccupe que d'écouler la quantité d'alcool qui lui est allouée. Il fournit des mélanges qui contiennent de 7 à 25% d'alcool. De la sorte, vous êtes contraint, au hasard des pompes où vous vous ravitaillez, d'accepter du mélange à 7, à 11, à 25 %. Nécessairement, votre carburateur et votre moteur réglés pour un certain mélange ne peuvent s'accommoder sans quelques troubles du mélange variable.

Conservation du mélange

Les qualités du mélange sont d'autant plus variables^ que le dosage est généralement opéré à l 'aveuglette. Il est encore variable, car on ne surveille pas la conservation du mélange prévu. On sait que l'alcool s'hydrate très aisément. Or, on ne prend généralement aucune préoccupation durant le stockage pour prévenir l'hydratation.

En résumé, vous êtes déçu dans l'emploi du mélange essence-alcool parce qu'on vous fournit un mélange variable par son dosage et son hydratation.

Est-ce une situation sans issue ?


Non. Il existe maintenant des appareils mélangeurs-doseurs qui sont produits par des fabricants français et qui peuvent permettre aux fournisseurs d'assurer des mélanges rigoureusement titrés. De plus, ces mêmes fabricants français ont prévu les appareils nécessaires pour protéger les citernes et dépôts contre l'hydratation. Ne croyez pas que ce sont des tentatives qui demandent encore des mises au point. Celles-ci sont faites, elles ont été poursuivies en Italie. Les appareils sont sûrs. On doit les employer. Vous devez vous efforcer d'exiger leur emploi et c'est à ce titre que nous les signalons à nos lecteurs.

On doit pouvoir maintenant assurer votre ravitaillement en mélange essence-alcool en vous garantissant un degré donné et constant.

De l'intérêt d'utiliser l'alcool et de ses bonnes conditions d'emploi


Voici, au sujet de l'emploi de l'alcool carburant, une note très intéressante que vient de nous adresser un de nos correspondants :

Le premier soin du gouvernement actuel a été d'étudier le moyen de résorber sur le marché national les réserves de blé et de vin qui s'accumulaient un peu plus à chaque récolte nouvelle.

La solution adoptée constitue pour le budget une charge et sacrifie en même temps l'étendue des emblavures et des vignobles sans tenir compte du fait que la nature des terrains ne permet pas toujours d'autres cultures.

N'est-il donc pas possible de trouver un nouvel emploi à l'alcool devenu produit national et de l'utiliser à l'instar de certains pays comme carburant ?

On a bien prétendu à la Commission des Finances que tout hectolitre d'alcool utilisé faisait perdre à l'Etat ce qu'il gagne en droits de douane et impôts sur un hectolitre d'essence, mais il faut reconnaître que ce manque à gagner a un caractère statique peu intéressant si on le compare au dynamisme que renferme un hectolitre d'alcool à la vente duquel nos agriculteurs, nos industriels, et, finalement, même l'Etat restent' intéressés.

Si nous voulons rendre à l'ouvrier agricole la part de travail que la motorisation, de plus en plus répandue, risquait de lui enlever, c'est précisément en consommant dans les moteurs ce que son travail produit. La cause de nos vignerons, de nos fermiers, de nos maîtres de chais, de nos betteraviers, de nos distillateurs est d'autant plus intéressante à défendre que les avantages techniques de l'alcool employé comme carburant sont incontestables. Comme bien souvent, il appartenait à un Français, M. Dumanois, d'apporter aux constructeurs de moteurs du monde entier le résultat de ses études et de ses travaux à ce sujet.

Pour éviter le phénomène de détonation dont le risque augmentait avec les taux de compression, les grandes firmes américaines ont été obligées d'ajouter à leur essence certains produits spéciaux antidétonants dont le plus connu est le plomb tétraéthyl. Malheureusement, ce produit est tellement dangereux pour ceux qui le manipulent comme pour ceux qui en respirent longtemps les produits résiduels de combustion, que presque tous les pays en ont interdit l'emploi, au moins pour l'automobile. D'autre part, le brome qu'on y incorpore pour rendre moins dangereux le tétraéthyl aux humains prend sa revanche sur le moteur lui-même, dont les pièces essentielles sont vites attaquées.

L'Europe étant tributaire des Etats-Unis pour l'essence et le tétraéthyl, l'Allemagne s'en libéra partiellement en utilisant un mélange au benzol, dont son industrie gazière.très développée, est gros producteur.

Sous l'impulsion énergique de M. Mussolini, l'Italie tourna plutôt ses recherches vers le mélange essence-alcool et, après avoir mis la question tout à fait au point, avec le concours des constructeurs de moteurs et même des pétroliers, elle finit par interdire l'usage de l'essence pure et fixa par décret le pourcentage d'alcool obligatoire entre 15 et 35 %

Les records de vitesse, d'altitude et autres, que l'Italie a collectionnés depuis un certain temps, ont démontré que la pratique devait confirmer le résultat des expériences de laboratoire et que le mélange essence-alcool pouvait être un excellent carburant.

Si l'alcool ne possède pas de propriétés antidétonantes, il est lui-même adétonant; aussi le nombre d'octane du mélange essence-alcool croît-il en proportion du pourcentage d'alcool qui entre dans la composition du carburant. Le phénomène de détonation se produisant alors moins facilement, la compression du moteur, qui ne peut dépasser le coefficient 6 lorsqu'on utilise de l'essence pure (le volume de la chambre de compression étant inférieur à 1/6 de la cylindrée), peut atteindre 10 avec le mélange essence-alcool. En même temps que la compression, le rendement du moteur augmente de façon sensible.

On peut évaluer : 
  • à 10% l'augmentation de rendement d'un moteur dont le taux de compression passe de 5 à 6 ;
  • à 15 % de 5 à 7 ;
  • à 20 % de 5 à 8 et
  • à 25 % de 5 à 10.

Le pouvoir calorifique de l'alcool, moins élevé que celui de l'essence, pouvait faire craindre, à puissance égale, une plus forte consommation ; il n'en est rien, grâce à la chaleur de vaporisation de l'alcool, trois fois plus élevée que celle de l'essence. La diminution d'énergie intérieure se trouve donc largement compensée par l'augmentation de rendement volumétrique.

Les expériences faites sur un moteur Ricardo tournant à 1700 tours-minute et possédant un taux de compression constant de 5, confirme cette thèse de façon étonnante. Nous résumons ces expériences dans un tableau ci-contre, qui démontre qu'au fur et à mesure que le pourcentage d'alcool augmente dans le carburant essence-alcool, la puissance du moteur s'accroît tandis que la consommation spécifique par CV diminue.




Ce tableau prouverait également que l'amélioration du rendement potentiel des moteurs à explosion peut s'obtenir par le simple emploi d'un mélange essence-alcool, même sans augmentation de compression.

A ces avantages, nous devons ajouter que l'alcool aide à la carburation plus complète de toutes les matières par suite de sa richesse en oxygène; aussi évite-t-on de façon très sensible l'encrassement des organes mécaniques en contact avec les gaz de combustion.

Sans aller jusqu'à dire que l'emploi de ce mélange décalamine les moteurs, on peut assurer au moins qu'il évite la formation de nouveaux dépôts.

Ajoutons encore que si la moindre gouttelette d'eau dans l'essence provoque pas mal de désagréments au conducteur, dans un mélange essence-alcool, cette eau sera immédiatement assimilée et diluée par l'alcool sans que le conducteur s'en aperçoive autrement que par une légère diminution de puissance ; encore faut-il que la quantité d'eau atteigne 1% pour un mélange de 75% essence et 25% alcool.

Enfin, les pays qui utilisent les mélanges essence-benzol ont été amenés à créer un mélange ternaire par adjonction d'alcool pour diminuer les phénomènes de givrage et de polymérisation que l'on constatait aux hautes altitudes.

Comme on le voit, du point de vue technique, comme du point de vue national, l'emploi de l'alcool comme carburant est une solution d'avenir et si l'usager est resté, en France, si réfractaire à son emploi, c'est que l'on n'a pas pris jusqu'ici les précautions indispensables en vue d'assurer, pendant la préparation et le stockage, la stabilité du mélange, son homogénéité étant fonction de certaines conditions techniques.

L'expérience italienne nous permet, aujourd'hui, d'assurer que les pétroliers n'ont pas, en France, résolu techniquement le problème du mélange essence-alcool et on peut même se demander s'il était normal de réclamer d'eux le désir et la volonté de le faire.

Quoi qu'il en soit, le problème du mélange essence-alcool se pose différemment pour l'automobiliste et pour l'aviateur.

Pour l'automobiliste, sauf cas spécial d'automobile de course munie de compresseurs, il est nécessaire de réglementer définitivement le pourcentage d'essence et d'alcool entrant dans le carburant qu'il trouve sur son chemin. Pour le constructeur, qui doit étudier les caractéristiques de son moteur, comme pour l'automobiliste, qui doit se ravitailler à des bornes différentes tout le long de son parcours, il est indispensable d'avoir un carburant uniforme comme composition et comme nombre d'octane. Le carburateur et le taux de compression de la machine l'exigent.

La liberté qui a été laissée aux pétroliers d'effectuer les mélanges à leur fantaisie avec comme seule condition de consommer une part déterminée de l'excédent d'alcool, explique pourquoi l'usager automobiliste français a été atteint de la phobie de l'alcool.

Pour faire disparaître les légitimes récriminations de l'usager, il suffira qu'on lui procure des mélanges à pourcentages fixes préparés avec le maximum de précision et que toutes les précautions soient prises lors de la préparation, de la manutention et du stockage de carburant pour que le mélange reste stable. Il faudra donc tenir compte, dans les installations, de l'affinité de l'alcool pour l'eau.

Des installations fixes répondant complètement aux exigences techiniques des mélanges alcool-essence doivent être prévues en France comme elles le sont déjà dans les pays où le gouvernement a compris l'intérêt national qu'il y avait à être le moins possible tributaire de l'étranger pour son ravitaillement en carburant et à développer, au contraire, la consommation d'un produit qui intéressait à la fois son agriculture et son industrie.

Dans l'aviation, le problème du carburant se pose tout autrement. En France, on l'a résolu sans effort. L'administration a publié un cahier des charges fixant deux carburants : l'un essence et l'autre essence et tétraéthyl, que l'on doit obligatoirement employer puisque ce sont les seuls que l'on trouve sur les terrains d'aviation.

Malheureusement, en précisant au fabricant de moteurs le carburant qu'il devra obligatoirement utiliser, on limite inutilement et dangereusement ses possibilités de réalisation. Les services que doivent rendre les avions étant essentiellement différents, suivant qu'ils sont destinés au commerce, au tourisme, à la chasse, au bombardement, suivant qu'ils doivent aller plus ou moins vite et plafonner plus ou moins haut, il paraît techniquement avantageux qu'un carburant approprié soit fourni pour chaque moteur comme cela se fait déjà lors des épreuves internationales de courses.

Mais, pour cela, il est indispensable que les terrains d'aviation soient aménagés pour permettre la préparation instantanée de tout mélange, sans quoi la plus grande confusion et le plus grand gaspillage régneraient dans les dépôts de carburant. C'est pourquoi l'Allemagne, et mieux l'Italie, ont créé des installations d'automélangeurs sur beaucoup de leurs terrains.

A une époque où les nations se referment de plus en plus sur elles-mêmes, cherchant à utiliser surtout leurs propres richesses, seuls pourront être appelés au trafic international les terrains qui auront été aménagés pour procurer immédiatement le mélange approprié à l'économie du pays d'où arrivera l'avion.

A côté de ce point de vue tout pacifique, nous devons, malheureusement, envisager le cas de conflits internationaux. Là aussi, l'aménagement de nos terrains établis pour distribuer des mélanges instantanés permettra seul aux ailes alliées de se ravitailler rapidement sur notre sol. Or, l'on sait que les états-majors de chaque nation ont cherché, en cas de conflits, à réduire leurs besoins en produits importés comme l'essence, en tenant compte de la difficulté des transports maritimes et les blocus éventuels qui pourraient compromettre les ravitaillements indispensables.

C'est donc vers les mélanges binaires ou ternaires à base d'essence-alcool-benzol que se tournent les gouvernements les plus prévoyants d'Europe.

Si les pouvoirs publics prenaient l'initiative de diriger dans ce sens l'effort commun, notre agriculture pourrait sans-crainte conserver et probablement même développer sa production au moment où,. sous prétexte de surproduction, on allait lui demander d'en limiter l'essor.

Une mise au point s'impose


Voici, d'après les plus récentes statistiques, les chiffres concernant la consommation des carburants, essence et alcool, de 1927 à 1934 :



D'autre part signalons, en toute impartialité, que la revue l'Industrie du Pétrole, dans un article intitulé : Bilan du régime de l'alcool industriel, fait ressortir que, pour l'année 1935, la perte que subira l'Etat du fait de sa politique actuelle de l'alcool, s'élèvera à plus de 1 milliard 500 millions. La perte sur la revente de l'alcool serait de 480 millions, et le manque à gagner, par taxes et impôts non perçus, serait de 1 milliard 24 millions.

Qu'il y ait des réformes à opérer, personne ne saurait le contester. Que la production de l'alcool soit à encourager, c'est une question vitale pour notre agriculture nationale. Une mise au point s'impose donc. L'Italie nous a montré les résultats que peut permettre une politique clairvoyante, judicieuse et suivie.

Nous devons savoir l'imiter.

Référence Omnia Mai 1935

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