vendredi 18 mai 2018

1908 : Mémoire sur l'utilisation de l'alcool pour les automobiles

L'alcool moteur et l'automobilisme.

Histoire de l'E85 / Superéthanol du XIXe siècle à nos jours


Petite pépite extraite d'un Mémoire de l'Académie de Nimes "la Viticulture et les applications de l'alcool dénaturé aux usages industriels en général et à l'automobilisme en particulier".

Tous les sujets techniques sont abordés, j'ai juste retiré certains passages relatifs à la fiscalité et la dénaturation. Pour l'humour, j'ai gardé le dernier chapitre des contraintes administratives. Rien n'a vraiment changé en France depuis 1908.

  • Rendement de l'alcool dénaturé et de l'alcool carburé ;
  • Démarrages à froid, volatilité et faible chaleur de vaporisation ;
  • Consommation spécifique de l'alcool carburé, particulièrement à 50% ;
  • Optimisation du carburateur, réchauffement du carburant pour éviter la condensation ;
  • Corrosion des cylindres et soupapes ;
  • Oxydation de l'aluminium (réservoir) et du fer (bidons/jerrycans) ;
  • Contraintes administratives.

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... l'automobilisme est mieux préparé que l'agriculture à devenir pour l'alcool un fidèle et excellent client. M. de Dion a pu, en effet, dans son discours à la Chambre des députés, le 7 juin 1907, évaluer à 2000000 d'hectolitres la quantité d'alcool que pourraient consommer nos 35000 voitures françaises [...]

Dès 1900, dans Paris-Rouen, trois voitures Gobron-Brillié marchant une à l'alcool pur, les autres deux à l'alcool carburé, couvrirent très brillamment le parcours. En 1901, Paris-Roubaix, en 1902, le circuit du Nord et Paris-Vienne, virent les voitures marchant à l'alcool carburé réaliser de belles vitesses, 90 kilomètres à l'heure dans la dernière course. Enfin, en 1903, l'Automobile-club de France organisa le 1er Congrès dont nous avons parlé.

Courses et congrès tournèrent toujours à l'honneur de l'alcool, qui, depuis longtemps, est utilisé en Allemagne parles moteurs fixes, et qui, mélangé à 50% de benzol, a fait parcourir 3570000 kilomètres, entre le 11 juin 1906 et le 1er novembre 1907, aux autobus Parisiens qui continuent à l'employer dans de très bonnes conditions. Il n'en est pas moins vrai que les voitures particulières continuent à ignorer systématiquement l'alcool et à brûler de l'essence.

Pourquoi cet ostracisme ?

Moteur à alcool simplement dénaturé.


Serait-il dû à l'infériorité théorique du moteur à alcool par rapport au moteur à essence ? On pourrait le croire, si on se bornait à comparer pour ces deux combustibles les pouvoirs calorifiques, c'est-à-dire le nombre de calories ou d'unités de chaleur qu'à poids égaux ils fournissent pour être transformés en travail. Les chiffres les plus optimistes n'atteignent pas, en effet, 6000 calories pour l'alcool dénaturé, et il est même prudent de ne compter que sur 5000, alors que le pouvoir calorifique de l'essence dépasse 8000.

Mais ce n'est pas tant la quantité absolue de calories disponibles, qui marque la valeur d'un combustible, que la quantité relative de ces calories effectivement transformées en travail.

Or, le mélange carburé à base d'alcool, a une température d'explosion notablement plus basse que celui fait avec l'essence la quantité absolue de chaleur dégagée étant plus faible, il est probable que la quantité relative perdue par l'échappement le sera aussi c'est effectivement ce qui se produit.

D'un autre côté, l'expérience montre que l'on peut avec l'alcool, sans craindre l'auto-inflammation, c'est-à-dire l'inflammation sans étincelle, réaliser des compressions préalables beaucoup plus importantes qu'avec l'essence (11 et 12 kilogrammes par centimètre carré avec l'alcool, au plus 8 avec l'essence).

Or, en augmentant la pression initiale on augmente par cela même la marge de la détente on utilise mieux la chaleur du combustible. M. Brillié l'a du reste constaté dans son moteur avec lequel sont équipés les autobus Parisiens. M. Lumet l'a vérifié aussi avec M. G. Longuemere, sur un moteur du Laboratoire de l'Automobile-Club de France.

Toutes ces conditions tendent à faire du moteur à alcool dénaturé un moteur à haut rendement. En fait, il occupe le degré le plus élevé dans l'échelle qu'a établie l'expérience.

Rendement
  • Gaz pauvre ou gaz d'éclairage : 24 p. 100 ;
  • Essence ou pétrole purs : 20 p. 100 ;
  • Essence hydratée (moteur Banki) : 18 p. 100 ;
  • Alcool carburé : 33 p. 100 ;
  • Alcool dénaturé : 38 p. 100.

Ces chiffres sont d'ailleurs ceux des meilleurs rendements obtenus.

Ce haut rendement, l'alcool le doit très probablement à l'eau qu'il contient. Celle-ci, en effet, grâce à la faculté d'emmagasiner une très grande quantité de chaleur sans que la température s'élève beaucoup, maintient à un degré relativement bas la température du mélange d'alcool et d'air pendant sa compression et son explosion. La présence de l'eau a un effet retardateur sur l'explosion à laquelle elle enlève son instantanéité, la détente est plus progressive, le moteur plus moelleux. La combustion est aussi plus complète, le moteur à alcool dénaturé ne laisse pas échapper de gaz aussi malodorants que le moteur à essence ou à alcool carburé. Ajoutons que l'alcool dénaturé étant beaucoup moins inflammable que l'essence et même que l'alcool carburé, les chances d'incendie sont avec lui moins grandes qu'avec ces deux combustibles.

L'alcool dénaturé compte donc à son actif d'incontestables avantages, qu'il semble facile d'assurer au moteur qui l'emploie. Pour augmenter, en effet, dans ce moteur, la compression préalable, il n'y a qu'à allonger la course de son piston ou à diminuer la capacité de sa chambre d'explosion. Pour assurer à sa combustion plus lente le temps de s'achever il suffit d'augmenter l'avance à l'allumage.

Inconvénients de l'alcool dénaturé.


Pourquoi n'est-il pas employé ?


  1. Parce qu'il n'est pas assez volatil pour que le carburateur puisse, au moment de la mise en marche du moteur froid, préparer un mélange explosible convenable, et qu'il faut par suite lancer le moteur à l'essence.
  2. Parce que, même après la mise en marche, le carburateur ordinairement employé pour l'essence, ne donne pas, avec l'alcool dénaturé, un mélange satisfaisant.
  3. Parce que, probablement à cause de la mauvaise qualité de ce mélange, les produits de sa combustion attaquent le cylindre, notamment les soupapes.
Ces trois inconvénients seraient supprimés par la découverte d'un bon carburateur, et il semble que le problème n'est pas au-dessus de l'ingéniosité de nos constructeurs. Mais ceux-ci sont paralysés par l'impossibilité où ils seraient de vendre des moteurs à alcool dénaturé, parce que celui ci n'offre ni le bon marché relatif de l'essence, ni une fixité de prix suffisante.

[...]

Alcool carburé


Voyons maintenant comment on peut obvier aux inconvénients de l'alcool dénaturé.

Avec lui, il faut, avons-nous dit, partir avec l'essence, parce que le mélange d'alcool et d'air ne se prépare pas bien, quand le moteur est froid. Cela tient à la faible volatilité de l'alcool et à son énorme chaleur de vaporisation dès que les premiers tours de manivelle, donnés pour mettre le moteur en marche, amènent un peu d'alcool à l'état de vapeur, cette vaporisation entraîne dans le reste du liquide un abaissement de température tel que l'alcool, au lieu d'être aspiré par le moteur sous forme de vapeur, l'est surtout à l'état de gouttelettes liquides. L'explosion se fait mal ou ne se fait pas du tout.

II était naturel de penser qu'on atténuerait ou même qu'on supprimerait cet inconvénient en mélangeant â l'alcool un corps ayant une plus grande volatilité et une plus faible chaleur de vaporisation. Du même coup, on diminuerait l'infériorité de l'alcool sur l'essence, au point de vue de son énergie potentielle, en choisissant un corps ayant un pouvoir calorifique plus grand que le sien. La question du meilleur carburant n'est pas encore résolue le concours reste ouvert, que l' « Automobile Club de France » a institué pour sa solution et doté de prix importants.

On a préconisé bien des produits. On a notamment mélangé à 50 parties d'alcool dénaturé, 15 parties d'alcool amylique et 35 parties d'essence légère. C'était consommer encore beaucoup de cette dernière, sans compter qu'en hiver on ne pouvait éviter la séparation des trois corps qu'en employant de l'alcool dénaturé 95°, de l'alcool amylique presque chimiquement pur et de l'essence très légère. Ces trois conditions sont assez difficiles à réaliser.

Tout dernièrement on a proposé l'acétylène, qui serait un carburant riche et peu coûteux, convenant aussi bien à l'éclairage qu'à la force motrice mais l'acétylène ne se dissout qu'assez mal dans l'alcool. M. Lindet estime qu'on tournerait la difficulté en produisant l'acétylène dans les lampes ou les moteurs mêmes, à l'aide non plus d'eau, mais d'alcool étendu qu'on ferait tomber sur le carbure de calcium.

Parmi les carburants si variés, Sorel a démontré qu'il y avait avantage à s'en tenir aux composés de la formule générale Cn Hn' (benzène, toluène, xylène et homologues supérieurs).

Le benzène C6H6 ou benzine cristallisable serait à recommander par sa pureté relative, mais il a le double inconvénient de se séparer par cristallisation de l'alcool aux basses températures et de coûter trop cher.

Le benzol à 90% qui se compose de 85 de benzène, 14 de toluène, 1 de xylène, et qui est abondamment fourni par le traitement des huiles légères de goudron de houille provenant de la distillation de cette dernière, est jusqu'ici le meilleur carburant connu.

On a essayé de le mélanger à l'alcool dénaturé dans des proportions qui ont varié de 10 à 70%. Comme son pouvoir calorifique est plus grand que celui de l'alcool, à mesure qu'on augmente la quantité de carburant, on diminue la consommation spécifique du moteur, autrement dit la dépense de combustible par cheval-heure. En revanche, on diminue la possibilité d'employer les fortes compressions et par suite le rendement thermodynamique. Il y a donc, pour chaque moteur, un taux de carburation de l'alcool plus convenable que les autres.

Moteur à alcool carburé.


Dans les moteurs de nos autos, faits pour l'essence, le taux de carburation le meilleur semble être celui de 50% : avec lui la consommation spécifique de l'alcool carburé est la même que pour l'essence.

C'est ce taux qui est le plus communément employé il l'est notamment par M. Leprêtre, qui mélange 100 parties de benzol (à 90 p. 100) à 100 parties d'alcool dénaturé 90°. L'alcool ainsi carburé ne donne plus de difficultés pour la mise en marche du moteur : à peine est-il nécessaire, nous déclare M. Brillié, avec sa haute expérience des autobus Parisiens, quand le temps est trop froid, d'introduire, à l'aide d'une burette, quelques gouttes d'essence par les robinets.

Que faut-il pour que, le moteur une fois parti, le mélange explosible soit toujours préparé convenablement par le carburateur ?

Réchauffer ce dernier par un courant prélevé sur l'eau de circulation, ou mieux sur les gaz de l'échappement, afin de remédier à l'insuffisance de volatilité du mélange pourtant augmentée par l'introduction de benzol plus volatil que l'alcool. Il faut aussi changer le réglage du carburateur, admettre une quantité supplémentaire d'air plus élevée, augmenter l'orifice du gicleur.

Le mélange ainsi bien préparé, il faut lui assurer jusqu'à son arrivée au moteur une parfaite conservation, éviter toute condensation. Pour cela la température du mélange à son entrée dans le moteur ne doit pas descendre au-dessous de 20°. On remplira les conditions voulues en n'imposant au mélange, du carburateur aux cylindres, qu'un trajet très-court, et, si la chose n'est pas possible, comme cela arrive avec un quatre- cylindres, en entourant la tuyauterie d'une gaine d'eau chaude.

Moyennant ces précautions, on peut être assuré d'éviter avec l'alcool carburé les deux premiers inconvénients que nous avons reprochés à l'alcool dénaturé (nécessité du départ à l'essence, mauvaise préparation du mélange explosible). En sera-t-il de même des autres ?

 N'y aura-t-il plus à craindre notamment la piqûre des soupapes ou de toute autre partie métallique en contact avec l'alcool ou les gaz de l'explosion ? MM. Boulanger et Altmayer ont répondu à cette question dans le rapport qu'ils ont présenté au Congrès de 1907.

Voyons d'abord l'action de l'alcool à froid. M. Loreau a constaté une fois le piquage d'un carburateur. L'alcool à 92°-93° attaque l'aluminium l'oxygène de l'air en présence de l'eau et de l'acide carbonique finit par oxyder ce métal, comme d'ailleurs à peu près tous les métaux. Cette oxydation, facilitée par le décapage ou dégraissage que produit l'alcool rend le fer inapplicable à la simple construction des réservoirs et des bidons. Le cuivre et le zinc peuvent être employés, parce qu'ils sont ultérieurement protégés par l'oxyde formé.

L'alcool que l'on dénature est à 90°, donc plus hydraté que le précédent sa plus forte proportion d'eau l'empêche d'attaquer les métaux. Le dénaturant et le carburant que contient l'alcool carburé ne les attaquent pas davantage, car le dénaturant est livré à ceux qui l'emploient dans de bonnes conditions de neutralité, par suite de sa fabrication même, et que le second est purifié à l'acide sulfurique, lavé et distillé. Et si M. Sorel a constaté, dans un cas particulier, pour un compteur à alcool, que le bronze phosphoreux était rongé assez rapidement, il a pu très justement incriminer les éthers qu'on trouve toujours dans les alcools de tête, en particulier l'éther acétique et l'acétate d'amyle, corps dangereux dont la proportion diminue d'ailleurs, avec les progrès scientifiques de la fermentation. En somme, rien à craindre de l'alcool à froid.

En est-il de même de l'alcool à chaud ?

Le mélange alcool carburé-air, en arrivant au contact de la surface externe de la soupape d'admission toujours très chaude, peut se dissocier et les produits de cette décomposition peuvent donner lieu au gommage ou collage de la soupape. Le fait n'est pas sans exemple, mais il est rare (on ne l'a jamais constaté sur les autobus de M. Brillié). Il est probablement dû aux gouttelettes liquides contenues dans le mélange explosif on l'évite par un bon réglage du carburateur.

Pour ce qui est des produits de l'explosion du mélange, il parait démontré, après les travaux de MM. Sorel et Trillet, que la formation de produits acides susceptibles de corroder les soupapes, n'est due qu'à des accidents de marche imputables, soit à une mauvaise carburation, soit à une combustion défectueuse, en somme faciles à éviter.

En tout cas, on empêchera toute corrosion sérieuse en injectant dans les cylindres, après l'arrêt du moteur, quelques gouttes de pétrole, et en donnant cinq ou six tours de manivelle, comme on le fait dans toutes les voitures pour dégommer les segments des pistons, c'est-à-dire pour enlever les résidus qui restent dans le moteur après son fonctionnement. D'ailleurs l'exemple des autobus parisiens est topique à cet égard. Il ne reste donc rien du procès instruit contre l'alcool carburé pour l'attaque des métaux.

Aucune raison technique n'empêche donc l'emploi de l'alcool carburé dans nos moteurs mais si les empêchements mécaniques sont ainsi levés, il reste encore, se dressant contre cet emploi, les empêchements économiques.

Inconvénients économiques de l'alcool carburé.


Le chauffeur ne se ravitaille que difficilement chez lui en alcool carburé, et ne trouve pas toujours le moyen de le faire en cours de route, à cause de la rareté des dépôts.

Pour se procurer à domicile une certaine quantité d'alcool, le chauffeur doit, comme le rappelle M. Leprétre, adresser une demande au directeur départemental des contributions indirectes, afin de lui expliquer qu'il se propose d'utiliser l'alcool dénaturé avec sa voiture automobile, et de solliciter l'autorisation d'en demander 250 litres (quantité journalière maximum qu'il peut recevoir) à un dénaturateur ou à un marchand en gros spécifiés.

Quelques jours plus tard, il retourne au bureau des contributions indirectes, où il a déposé sa demande, et s'enquiert si l'autorisation sollicitée lui est accordée. Si oui, il fait signer un bulletin d'autorisation qu'il adresse une fois pour toutes au dénaturateur ou au marchand en gros. Chaque expédition de 250 litres sera accompagnée d'un acquit à caution, qui devra toutes les fois être déposé au bureau de la régie du lieu de destination, pour être déchargé. Autant de domiciles, autant d'autorisations. S'il veut transporter en un autre lieu, même dans sa propre ville, une quantité d'alcool dénaturé supérieure à 5 litres, il ne devra pas oublier de se faire délivrer un congé, un laissez-passer ou un acquit, suivant les circonstances et les quantités à transporter.

Pour la rédaction de ces formules, il devra pouvoir énoncer le volume total d'alcool à 90°, celui d'alcool pur, celui du méthylène et aussi celui de la benzine, en tenant compte du degré et de la température au moment où il opère, afin de ramener le degré à la température de 15° sur la table de correction.



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