samedi 24 mars 2018

1901 : Pourquoi l'alcool moteur ne va pas gagner face à la vapeur, le pétrole (gas-oil) et l'essence de pétrole

En pleine effervescence sur les capacités de l'alcool moteur pur ou carburé, un article prémonitoire sur la défaite de celui-ci pour des raisons économiques et sur le succès à venir des petits moteurs diesels.

Prix de revient de la force motrice par l'alcool

Les moteurs à alcool, tout récents, ont été discutés le 3 juillet dernier à la Société des Ingénieurs civils, où M. Périsse a fait, à leur sujet, une conférence (Bulletins des Ingénieurs civils, juillet 1901) qui donne les détails les plus complets sur l'étal actuel de la question.

J'écarte de mon programme les grands moteurs fixes de plus de 30 à 50 chevaux ici, l'alcool ne me parait jamais devoir concurrencer la vapeur et surtout le gaz pauvre, ce dernier parfois plus économique que certaines chutes d'eau.

C'est aux moteurs d'automobiles, locomobiles, petits moteurs agricoles que parait s'adresser l'alcool.

La tendance est de carburer l'alcool, parce qu'on a de la peine à employer l'alcool pur, qui corrode les moteurs actuels. Ce n'est pas un but enviable pour les partisans de l'alcool moteur que de faire brûler 50% de benzole, produit qui deviendra introuvable, et j'admets que, pour l'avenir, les constructeurs sauront employer le bronze, le nickel ou d'autres métaux, à l'abri des corrosions, permettant l'alcool pur sans carburation.

L'alcool contient de l'eau qui paraît, chose encore mystérieuse, augmenter le rendement en force motrice, car les expériences prouvent que le rendement est supérieur avec de l'alcool à 90" ou même 85° qu'avec de l'alcool pur ou à 95°.

Ces 10 à 15% de vapeur d'eau rendent l'explosion plus douce et allongent le diagramme, donc le rendement augmente. La,conséquence est qu'il faut construire des cylindres beaucoup plus allongés dans les moteurs à alcool que pour ceux à essence, où l'explosion est brusque et où le moteur carré paraît l'emporter, Ce moteur allongé paraît donc permettre des rendements supérieurs avec l'alcool, grâce à l'action encore mystérieuse de la vapeur d'eau sur le diagramme.

Une autre action de l'eau est d'empêcher les explosions intempestives avec un moteur échauffé

1re Question : Combien de grammes d'alcool pur par cheval-heure ?

Les chiffes connus sont presque tous relatifs à de l'alcool carburé, ce qui fausse le résultat. En effet, l'alcool à 90° ne peut donner plus de 5,000 calories au kilogramme, tandis que les carburants donnent de 10,000 à 11,000 calories.

Voici quelques chiffres extraits du travail de M. Périssé et relatifs à des moteurs fixes :


J'admets qu'il soit possible actuellement de produire industriellement le cheval-heure effectif avec 0,600 litre d'alcool dénaturé à 90° (densité = 0,832), soit 500 grammes.

2e Question : Prix de revient de l'alcool.

On a dit que l'alcool se syndiquera et que, comme en Allemagne, le syndicat vendra l'alcool de bouche plus cher pour pouvoir vendre l'alcool moteur en dessous du prix de revient par un mécanisme de primes. En fait, l'alcool moteur vaut, en Allemagne, 26 centimes le litre.

Je ne m'arrête pas à ces chiffres instables. On admet actuellement en France que, pour 1902, l'alcool moteur dénaturé et non carburé vaudra à son prix de revient 36 francs l'hectolitre et pourra être vendu au détail 45 à 50 centimes le litre. Ce qui pourra être réduit, c'est la prime au détaillant, et j'admets, en moyenne, l'alcool moteur à 40 CENTIMES LE LITRE.

3e Question : Prix de revient du cheval-heure effectif.

0 l. 600 litres à 0 îr. 40 = 0 fr. 24.

Ce chiffre ne s'applique, dans ma pensée, qu'à des moteurs fixes d'une certaine puissance, 15 à 25 chevaux, travaillant dans de bonnes conditions.

Il ne me paraît pas devoir s'appliquer aux moteurs d'automobiles.

COMPARAISON.

Les moteurs à vapeur consomment souvent moins de 1 kilog. de charbon par cheval-heure (prix variant de 20 fr. à 30 fr. la tonne), soit de 2 a 3 centimes le cheval-heure, au lieu de 24 centimes avec l'alcool.

Les moteurs fixes à pétrole, du type Diesel (à forte compression), sont vendus pour une consommation d'environ 250 grammes de pétrole par cheval-heure.
Que vaut le pétrole ? au détail environ 40 francs les cent kilogr., y compris l'emballage. Mais dans une comparaison scientifique, je ne tiendrai compte que de la valeur du pétrole, non compris le droit de douane (12 fr. 50 par cent kilogr.) qui dépend de la fantaisie du législateur. Vienne demain un courant de sympathie pour le pétrole moteur, et il sera dégrevé comme vient de l'être l'alcool dénaturé. Or, le pétrole en vrac (non emballé) et en entrepôt a valu ces dernières années, en gros, 18 fr. à 21 fr. les cent kilogr., prenons 54 fr. comme base, et nous aurions le cheval heure à 6 centimes. Ce chiffre devient 9 centimes, si nous tenons compte du droit de douane actuel.

Les moteurs à essence me paraissent devoir céder la place aux moteurs à pétrole, tant à cause du rendement qu'à cause du danger d'incendie l'essence étant éminemment inflammable à froid et de loin, tandis que le pétrole ne doit pas s'enflammer, même en été, au contact d'une allumette.
De plus, l'essence est un produit très cher, dont le prix augmentera encore.

Voici quelques consommations relevées :

  • Essai Delahaye, 1901 : Essences à 700°. 0 l. 486 par cheval-heure effectif ;
  • Essai Oelkers, ..........  : Essences à 700°. 0 l. 350  par cheval-heure effectif


L'essence contient 11,000 calories au kilogramme, l'alcool à 90° 5,000, ce qui explique pourquoi il ne faut que 0 l. 350 ou 0 l. 486 d'essence là où nous admettons 0 l. 600 d'alcool.
Or, d'après le Bulletin des Halles, l'essence 700° valait, à Paris, avant octroi, en gros :



De sorte qu'en prenant les extrêmes, les limites seraient par cheval heure :
  • 0 l. 350 ou 245 grammes à 35 francs = 8 cent. 6 ;
  • 0 l. 486 ou 340 grammes à 55 francs = 18 cent. 8.
Ces chiffres tiennent compte du droit de douane actuel, 10 francs par hectolitre.

Si on défalque la douane, les limites ci-dessus du cheval-heure seraient 5 centimes et 13 cent. 8.

Emploi des pétroles lourds.
Certains constructeurs commencent à livrer des moteurs pour pétroles de haute densité, ce qui me paraît la voie de l'avenir, parce que le danger d'incendie devient nul, les huiles de graissage ne s'enflammant guère qu'au rouge sombre. De plus, n'est-il pas logique de réserver a l'éclairage les carbures réellement éclairants, au lieu de les brûler dans un moteur, qui se suffit de produits inférieurs? Enfin, la douane n'est que de 9 francs par cent kilog. sur les pétroles lourds, et les nécessités de l'industrie (huiles de graissage) conduiront l'humeur changeante du législateur à dégrever plutôt qu'à augmenter.

Or, une grosse source de pertes et de diminution de rendement, avec l'essence et probablement avec l'alcool, c'est l'évaporation et le coulage par tous les joints. –En été, un fût d'essence s'évaporera spontanément assez vite sur le quai d'une gare. Aussi les essais sur automobiles ne sont-ils guère probants.

Les huiles lourdes sont à l'abri de ces graves inconvénients, et comme elles sont des résidus de fabrication, leur prix restera toujours plus bas que ceux des produits aussi recherchés que l'alcool, la gazoléine ou les pétroles raffinés pour éclairage.

Actuellement, en face d'un prix d'environ 40 fr. les cent kilog. de pétrole, 55 fr. les cent kilog. d'essence, il faut mettre pour les pétroles lourds (D =0 l. 865) 18 fr. 50 en entrepôt avant douane les cent kilog., ou 27 fr. 50 dédouanés.

Ces huiles sont claires et limpides, de la couleur de l'huile d'olive. Leur pouvoir calorifique est égal à celui du pétrole, et, en supposant la même consommation, elles donneraient un prix de revient (moteurs fixes, type Diesel, par exemple) de :
  • Avant douane, 5 centimes par cheval-heure effectif ;
  • Après douane, 7 centimes par cheval-heure effectif.

RÉCAPITULATION :




CHAMP D’AMÉLIORATION POUR L'ALCOOL.

Je doute que son prix tombe beaucoup au-dessous de 36 fr. l'hectolitre, en France, autrement que par des moyens artificiels instables,
Mais il n'est pas impossible que les constructeurs arrivent à réduire la consommation que j'ai admise de 0 l. 600 par cheval-heure effectif. L'explosion de l'alcool est encore mal connue, et son rendement dans le cylindre moteur peut réserver des surprises, du fait de la vapeur d'eau, qui permet les fortes compressions préalables, comme dans le moteur Diesel. Cependant, l'ingéniosité des constructeurs ne pourra jamais donner plus de 5,000 calories au kilogramme d'alcool à 90", tandis que les huiles minérales et essences en ont 11,000.

Les huiles lourdes à 865° me paraissent au contraire avoir plus d'emploi dans les moteurs de l'avenir.

L'ingénieur n'a pas à savoir s'il brûle de l'alcool national et s'il vaut mieux en faire brûler qu'en faire boire. Ces questions de sentiment et d'économie politique n'ont rien a voir avec la science pure, dont l'ingénieur doit résoudre les difficiles problèmes sans chercher à influencer la vérité.

Or, nous trouvons une différence énorme de prix de revient en faveur des pétroles et huiles minérales pour les moteurs fixes.

Il y a des cas, pourtant, où la question de prix de revient devient secondaire.

M. Périssé cite le cas des colonies où l'approvisionnement d'essence est parfois impossible, faute de vendeurs, tandis qu'on a toujours sous la main des matières sucrées fermentescibles.

Dans les Antilles, on brûle les mélasses, faute d'écoulement. Transformées en alcool, elles donneraient un produit à moins de 18 à 19 fr. l'hectolitre, cours actuel à Hambourg. Mais jamais le législateur ne laissera pénétrer cet alcool librement en Europe. Et même à ce prix très bas, cet alcool de mélasses est encore plus cher que les huiles minérales avant douane et offre les inconvénients de manipulation, de conservation, d'un produit volatil et incendiaire.

L'automobilisme se préoccupe fort peu du prix de revient. Ainsi, dans le concours Paris-Braisne, 137 kilomètres, alcool pur, on a consommé 5 litres au total pour un tricycle de Dion, le maximum de consommation ayant été de 41 litres pour une voiture Gobron de 1,350 kilog. en charge. (M. Périsse.)

Le chauffeur est bien plus préoccupé des facilités de manipulation et de réapprovisionnement que du prix de revient par cheval-heure.

Or, le moteur a alcool parait être beaucoup plus doux, son choc sur les bielles est moins violent, à cause de la présence de vapeur d'eau dans le cylindre; la détente est plus complète, le bruit de l'échapper ment moindre. Il peut y avoir là des avantages pour l'alcool, qui, d'autre part, exigera des réservoirs plus étanches que les huiles lourdes; il craindra la chaleur, l'évaporation, et sera toujours une grave cause d'incendie, surtout en cas d'accident plusieurs chauffeurs ont été brûlés vifs récemment par des combustibles trop inflammables.

CONCLUSIONS

A l'heure actuelle, l'alcool moteur est l'une des sources d'énergie les plus chères.

Il est susceptible d'applications restreintes dans des cas particuliers. il paraît susceptible d'améliorations importantes de la part des constructeurs de moteurs.

Il ne parait pas devoir être jamais plus économique que les huiles minérales, sauf mesures accidentelles comme primes, syndicats, douane, etc et encore faudrait-il que des mesures très énergiques créent une différence considérable avec les prix actuels.

Le progrès le plus important à rechercher serait le petit moteur pour huiles minérales claires à 0.865 environ de densité, ininflammables et sans danger.

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